Réflexions sur le modèle de la cité et sur la critique chez Luc Boltanski

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Le sociologue français Luc Boltanski est l’un des principaux représentants de la sociologie pragmatique, un courant comprenant également l’anthropologie de Bruno Latour1. Avec l’économiste Laurent Thévenot, ils ont élaboré dans les années 1980 un « modèle de la cité » qui décrit une société à une période historique donnée dans une perspective politique et morale. Nous allons nous y intéresser sous un angle épistémologique ainsi que sous un angle critique dans la mesure où le modèle articule ces deux aspects et permet de dégager un questionnement philosophique.

Dans un premier temps nous décrirons les grandes lignes du modèle de la cité, celles qui nous intéressent d’un point de vue épistémologique, de façon à nous interroger dans un second temps sur le caractère sociologique du modèle. Dans un troisième temps, nous réfléchirons sur trois aspect de l’approche critique de Boltanski : la division du travail social induite par le modèle, l’amoralité du capitalisme et le concept d’épreuve.

Abréviations :

  • DJ : Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification, Les économies de la grandeur, Gallimard, 1991.
  • NEC : Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
  • DC : Luc Boltanski, De la critique, Précis de sociologie de l’émancipation, Gallimard, 2009.

Le modèle de la cité

Une sociologie pragmatique (de la critique)

Le modèle de la cité a été élaboré par Boltanski et Thévenot dans le cadre d’un programme « visant à poser, à nouveaux frais, les bases d’une sociologie morale, au sens que Durkheim et les durkheimiens donnaient à ce terme. Par sociologie morale, il faut entendre l’effort pour réinsérer dans l’étude de l’action des personnes en société, les raisons d’agir et les exigences morales qu’elles se donnent ou voudraient se donner, ne serait-ce qu’à titre d’idéaux2. » Au sein de ce programme, la « question de l’action et celle de la critique sont centrales3 », elles signalent une prise de distance vis-à-vis du structuralisme génétique de Pierre Bourdieu dans lequel les agents ployaient sous la domination et les déterminismes sociaux.

L’approche de Boltanski puise dans divers courants : l’interactionnisme, l’ethnométhodologie, la sociologie des sciences, celle de Latour en particulier, la linguistique chomskyenne, la philosophie de Deleuze, celle du second Wittgenstein ou encore la phénoménologie4. Les acteurs y sont dotés de compétences morales, d’une « faculté d’être raisonnable » [DJ, 181] permettant de formuler des jugements et plus spécialement des critiques. Ces dernières sont susceptibles de déstabiliser l’ordre social voire d’engendrer un nouvel ordre. Contrairement aux agents bourdieusiens subissant de façon plus ou moins passive les effets d’une structure que seul le sociologue est en mesure d’appréhender, les acteurs de la sociologie pragmatique émettent des revendications, dénoncent des injustices, étayent des argumentations dont le sociologue peut « tirer parti » [DC, 56]. L’accent mis sur la critique par Boltanski, tout au long de son itinéraire sociologique5, se retrouve dans DJ qui « s’applique principalement à des situations publiques de disputes où l’action est confrontée à la critique. » [DC, 52]

Une dispute est déclenchée en raison d’une incertitude concernant un ordre de grandeur, c’est-à-dire la valeur accordée à une personne et plus généralement à une chose. Le terme de grandeur, emprunté à l’anthropologue Louis Dumont, a été privilégié par rapport à celui de valeur en raison de son héritage sociologique6 : Max Weber percevait les valeurs comme incommensurables, une dispute au sujet de valeurs distinctes ne pouvant que dégénérer en une guerre des dieux7. Or DJ « a pour objectif principal de construire un cadre permettant d’analyser avec les mêmes instruments théoriques et en mettant en œuvre les mêmes méthodes, les opérations critiques auxquelles se livrent les acteurs lorsqu’ils veulent manifester leur désaccord sans recourir à la violence, et les opérations au moyen desquelles ils parviennent à construire, à manifester et à sceller des accords plus ou moins durables. » [DJ, 39] Parvenir à un accord revient à lever l’incertitude concernant les grandeurs. Toutefois, « une situation […] ne peut éliminer à jamais la diversité des contingences dont le bruissement se maintient aux confins de ce qui est en ordre. La permanence de ce tohu-bohu fait peser une incertitude sur les grandeurs. » [DJ, 171]

Malgré l’incertitude persistante, les accords sont atteignables, notamment grâce aux objets auxquels Boltanski et Thévenot attribuent un rôle central dans la possibilité de régler les disputes : « Renvoyant dos à dos la fétichisation réaliste et la déconstruction symboliste, nous cherchons à montrer la façon dont les personnes font face à l’incertitude en s’appuyant sur des objets pour confectionner des ordres et, inversement, consolident les objets en les attachant aux ordres construits. » [DJ, 31]

Les axiomes du modèle

Dans la perspective pragmatique esquissée, le modèle de la cité « peut être envisagé à la fois comme une théorie de la justice compatible avec diverses constructions de la philosophie politique, et comme une capacité dont il faut supposer l’existence pour rendre compte de la façon dont les membres d’une société complexe accomplissent des critiques, remettent en cause des situations, se disputent, ou convergent vers un accord. » [DJ, 29] Il comprend donc deux niveaux d’analyse de l’action : d’une part l’individu et ses capacités, d’autre part les constructions de la philosophie politique qui constituent des « métaphysiques politiques ». Ces deux niveaux se combinent au sein de l’axiomatique du modèle [DJ, 96 sq.] qui permet de faire ressortir « les éléments de similitude » entre holisme et individualisme8 « sous l’apparente irréductibilité de l’opposition méthodologique » [DJ, 42].

AxiomeModèle hypothétique associé
(a1) Principe de commune humanité, ou d’équivalence fondamentale.Éden : une classe d’équivalence pour l’humanité, « Un Homme unique, un Adam ».
(a2) Principe de dissemblance, « destiné à exclure les éden, en supposant au moins deux états possibles pour les membres de la cité ». L’état peut être envisagé comme une situation ou position sociale qui n’est pas figée. 
(a3) Commune dignité : « puissance identique d’accès à tous les états ».Modèle d’humanité à plusieurs états : « ouvre la possibilité d’accords non triviaux, aussi bien que désaccords qui restent limités à des litiges sur l’attribution d’un état à une personne, sans entraîner immédiatement un différend ».
(a4) Les états sont ordonnés via « une échelle de valeur des biens ou des bonheurs attachés à ces états en créant une tension avec (a1). 
(a5) Formule d’investissement « qui lie les bienfaits d’un état supérieur à un coût ou un sacrifice exigés pour y accéder. »Modèle d’humanité ordonnée, il « permet de justifier une gamme plus large d’accords » que le modèle hypothétique précédent, mais le coût pour accéder à l’état supérieur peut faire l’objet de critiques.
« Le bonheur, d’autant plus grand que l’on va vers les états supérieurs, profite à toute la cité », « c’est un bien commun (a6). C’est seulement sous cette condition supplémentaire […] que nous parlerons d’un ordre de grandeur. »Modèle de la cité.

Cette axiomatique met particulièrement en relief la superposition de principes égalitaires et inégalitaires : le principe de commune humanité (a1) entre en tension avec la hiérarchisation sociale (a2 et a4). La commune dignité (a3) qui, couplée à (a1), revient à une sorte d’égalité, la formule d’investissement (a5), proche d’un principe méritocratique, ainsi que le bien commun (a6) permettent conjointement d’alléger la tension de base entre égalité et distinction, fournissant des éléments rationnels de justification.

Le concept de bien commun, « clé de voûte de la construction » [DJ, 101], conjugue à la fois la grandeur individuelle, particulière, et le bonheur de la cité dans son ensemble : « Importe le plus ce qui est le plus général et la généralité des grands contribue non seulement à leur bien-être (qui se caractérise ainsi par une manière d’extension de leur être) mais à celui des petits. » De la sorte, « les grands comprennent les petits. »

Les cités, creuset philosophique des mondes sociaux

L’ordre de grandeur et le bien commun ne sont pas uniques dans les « sociétés complexes », « différenciées » que sont les nations contemporaines où, pour employer une métaphore interactionniste9, chaque individu endosse des rôles différents en fonction de la situation dans laquelle il se trouve (père/mère, travailleur, élu(e), etc.). Il existe ainsi plusieurs types de fondements, conventionnels, de la grandeur accordée aux choses. Boltanski et Thévenot identifient dans DJ [60-157] six « formes de grandeur politiques » s’appuyant sur des philosophies occidentales traditionnelles :  

CitéPhilosophe associéÉchelle de grandeurExemples de rôles sociaux
Cité inspiréeSaint AugustinRenoncement à soi pour les autres sans accorder de crédit à la reconnaissance des autres ou à leurs opinions.Artistes, avant-gardes politiques, religieux…
Cité domestiqueBossuetPosition hiérarchique, lien entre les êtres conçu comme un lien familial.Père de famille, patron…
Cité de l’opinionHobbesReconnaissance des autres, honneur.Vedettes, influenceurs, accroc aux réseaux sociaux…
Cité civiqueRousseauVolonté générale, sacrifice favorable à tous.Élus, représentants…
Cité marchandeAdam SmithPrix des biens, déterminé par un marché où des individus en sympathie, mais soumis à leurs intérêts personnels, entrent en concurrence pour l’appropriation de ces biens.Client, fournisseur…
Cité industrielleSaint-SimonEfficacité, capacité « scientifique » à produire des biens en respectant un budget.Ingénieur, expert, technicien…

Les cités correspondent à des descriptions philosophiques fondant l’estimation de grandeurs. En tant qu’idéaltypes elles ne précisent pas les « conditions de réalisation d’un accord effectif » [DJ, 162] qui se déroule dans des circonstances particulières au sein du monde (réel) divisé en mondes. Chaque monde, relatif à une cité10, est considéré comme une « extension » de celle-ci.

Les accords concernant l’importance des êtres et l’attribution d’états se réalisent au travers d’épreuves de grandeur : « L’épreuve de grandeur ne se réduit pas à un débat d’idées, elle engage des personnes, avec leur capacité, dans un monde de choses qui servent à l’appui, en l’absence desquelles la dispute ne trouverait pas matière à s’arrêter dans une épreuve. » [DJ, 166] De façon plus générale, le terme d’épreuve « désigne des opérations au cours desquelles des personnes, mais aussi bien des choses, sont évaluées, hiérarchisées et sélectionnées. Ces opérations reposent sur des dispositifs qui sont censés en assurer la validité en tenant compte de règles et de formats préétablis, mettant en œuvre des procédures qui ont notamment pour rôle de préciser que les êtres soumis à l’épreuve sont bien commensurables. Ces dispositifs sont multiples, très différenciés et inégalement formalisés, mais on peut prendre pour exemple d’épreuves typiques, des examens scolaires, des épreuves sportives, des procédures électorales, des prix littéraires ou encore des évaluations de produits lors de foires, de salons ou de concours11. » Le concept d’épreuve s’applique donc aussi bien à des formes d’évaluation instituées qu’à des disputes et des critiques qui remettent en cause les institutions. Nous reviendrons sur cette question en fin d’article.

La liste des six cités précédentes a été dressée par Boltanski et Thévenot durant les années 1980. En 1999, dans NEC, Boltanski et Chiapello identifient une septième cité, connexionniste, ou cité par projet : « C’est dans la mesure où de nouvelles épreuves non descriptibles dans les topiques du jugement utilisées jusque-là (par exemple en termes industriels, marchands, domestiques) ont émergé et que de nouvelles formes d’exploitation ont pu se manifester, que la nécessité de mettre en place une autre topique du jugement — une nouvelle « cité » — a pu se faire sentir. C’est ainsi que nous avons été amenés à modéliser la cité par projets pour rendre compte des formes de justice tout à fait particulières qui nous semblaient en train de se mettre en place pour donner un sens et une justice à tout ce qui dans le monde renvoie à des agencements connexionnistes et qui, sans la formation de cette cité, ne peuvent être contrôlés sous le rapport de la justice. » [NEC, 625]

Mentionnons également la formulation d’une cité environnementale par des chercheurs faisant référence à une grandeur « verte12 ».

Entre philosophie et sociologie

Une approche aristotélicienne

Ainsi que le soulignent Jean Bouillé, Philippe Robert-Demontrond et Éric Rémy, le modèle de la cité « est profondément aristotélicien dans sa conception et dans son orientation13. » Il l’est dans l’accent mis sur le concept de « forme » et sur la distinction entre général et particulier. Les individus, êtres particuliers, afin d’étayer leurs jugements à propos de situations particulières et soumises à diverses contingences ont recours à des principes et des biens communs qui valent pour la totalité d’un monde.

Dans DJ, Boltanski et Thévenot prennent l’exemple d’un cadre d’entreprise faisant visiter à des industriels étrangers « l’atelier le plus moderne de l’usine dans laquelle il occupe un poste de responsabilité : tout marche pour le mieux, et chaque être qu’il désigne au visiteur vaut en toute généralité. » [DJ, 51] Autrement dit, chaque être, ouvrier, machine, outil, etc., exécute ses mouvements conformément aux processus opérationnels établis. Mais « Voilà le regard d’un visiteur attiré par une machine immobilisée devant laquelle s’amoncelle une pile de pièces en attente, ou par un poste de travail vacant, ou par un amas de rebuts au fond d’une caisse. » [DJ, 52] Face aux questions du visiteur, « le cadre de l’entreprise doit « entrer dans les détails » et en rabattre sur l’exigence de généralité […]. La machine, explique-t-il, souffre d’une malfaçon résultant de telle particularité de sa fabrication, l’ouvrier est absent pour tel motif personnel, les pièces sont déficientes en raison de telle impureté dans la matière première. Le brouhaha des particularités qui envahissent la situation, au risque d’en troubler l’harmonie, fait ressortir, a contrario, les aménagements nécessaires pour arracher aux circonstances les choses et les personnes » [DJ, 52-53], pour les inclure dans un cadre opérationnel et efficient en général.

Le modèle de la cité est également aristotélicien « dans sa conception de la justice — où l’on retrouve l’idée (fondant le recours au concept de « principe d’équivalence ») qu’une distribution doit, pour être déclarée juste, être rapportée à la valeur relative des personnes impliquées. Il l’est dans sa conception de l’épreuve — le modèle intégrant effectivement, comme le pointe Boltanski lui-même (in Blondeau et Sevin, 2004), l’opposition aristotélicienne entre la puissance et l’acte. […] Il l’est encore dans son idée que les principes d’équivalence sont des êtres historiques, et non pas (ce que commanderait une approche platonicienne) des transcendantaux14. »

Un modèle sociologique ?

Entre les formes de grandeur politique d’une part, véritables métaphysiques politiques, l’inspiration aristotélicienne d’autre part, les racines du modèle de la cité apparaissent d’ordre philosophique et plus particulièrement moral. En explicitant les différentes formes de grandeur, Boltanski et Thévenot ont d’ailleurs mis en application la préconisation de Max Weber, déjà évoquée, à savoir que « la méthode scientifique de traiter les jugements de valeur ne saurait pas seulement se borner à comprendre [verstehen] et à faire revivre […] les buts voulus et les idéaux qui leur servent de fondements, elle se propose de nous apprendre également à porter un jugement « critique » sur eux. […] En se fixant ce but, elle peut aider l’homme de volonté à prendre conscience lui-même à la fois des axiomes ultimes qui forment la base du contenu de son vouloir et des étalons de valeur […] dont il part inconsciemment ou bien dont il devrait partir pour être conséquent15. »

On peut toutefois s’interroger sur le caractère scientifique du modèle lui-même ainsi que sur ses fondements philosophiques, plus particulièrement ses axiomes. Dans l’article précédent, j’ai identifié deux types de formalismes entrant dans la composition des modélisations scientifiques : un formalisme mathématique et un formalisme algorithmique. Or le modèle de la cité, bien qu’il s’appuie sur des analyses statistiques en amont de son élaboration, s’apparente davantage à une conceptualisation ou à un agencement de concepts.

Aussi éclairante et stimulante sur le plan heuristique que puisse être cette conceptualisation, elle ne permet guère de faire de prévisions ou prédictions. Elle se situe au niveau théorique davantage qu’au niveau expérimental. L’exemple de la cité par projets, qui n’apparaît pas dans DJ, illustre la difficulté qu’il peut y avoir à réaliser une prévision à partir du modèle lui-même et des formes de grandeurs identifiées jusqu’à un certain stade historique. Comment, sans formalismes mathématiques et/ou algorithmiques, une modélisation permettrait-elle de réaliser des prévisions fiables, d’autant plus au niveau social ? À minima, il conviendrait de distinguer les modèles permettant de mener des expériences reproductibles des modèles conceptuels d’ordre théorique. Cependant, avec l’évolution de l’appréhension du concept de modèle depuis le milieu du XXe siècle16, évolution impulsée notamment par la physique et par l’économie, continuer d’utiliser le terme de modèle à la fois pour des conceptualisations théoriques et pour des descriptions mathématico-algorithmiques soutenant des expérimentations n’est-il pas source de confusion entre niveau théorique et niveau expérimental/pratique ?

Comment, par ailleurs, le modèle de la cité peut-il prétendre à une stabilité temporelle, autrement dit comment peut-il être adéquat à des périodes historiques successives, dans la mesure où ses axiomes reflètent les principes républicains et démocratiques des sociétés occidentales contemporaines17 ? Je m’interroge notamment sur une possible évolution à venir des axiomes davantage que des formes de grandeur, évolution qui me semble loin d’être hors de propos dans un contexte historique où les problématiques environnementales et sanitaires, la persistance des inégalités nationales et internationales, le développement des robots et de l’automatisation remettent profondément en question les orientations que les êtres humains donnent à leurs actions.

Objets de la critique

Le caractère occidentalo-centré du modèle de la cité a été une des multiples critiques formulées à son encontre. Cependant, comme le note le sociologue Arnaud Esquerre, « L’affluence des critiques témoigne, en creux, de l’attente que semble faire naître la lecture de La justification : celle d’une sociologie totale, à même d’embrasser non pas seulement ce sur quoi l’ouvrage porte, mais tous les énoncés et les comportements qui existent, ont existé, et existeront. La raison en est que De la justification a été reçue comme « un système de sociologie », selon l’expression de Latour, et non pas seulement comme un résultat situé, à partir d’une enquête aux contours délimités. » Ainsi, bien que Boltanski et Thévenot aient explicitement dans DJ [54] laissé de côté les situations de violence, il a principalement été reproché au modèle de ne pas tenir compte des rapports de force dans les relations sociales18, ce que NEC a corrigé. La conception de la critique chez Boltanski a donc évolué au fil du temps pour être synthétisée dans DC19.

Intéressons-nous aux différents objets de la critique que l’on peut regrouper en trois types. Le premier concerne les principes des formes de grandeur politique : les « critiques mettent en cause les modalités du jugement dans une certaine situation soit en invoquant un principe de grandeur différent de celui sur lequel se fixent d’autres participants, soit en montrant que le jugement ne repose pas, en fait, sur les principes officiellement admis, mais, au contraire sur des principes différents et tacites. » [DC, 54]

Le second type d’objet de la critique est l’épreuve. Dans ce cas, « la critique peut s’orienter dans deux directions différentes. Elle peut prendre pour objet la façon dont une épreuve est mise en œuvre localement et montrer que son déroulement n’a pas respecté les procédures établies. Ou elle peut prendre pour cible le format de l’épreuve lui-même en montrant que son agencement ne permet pas de contrôler l’ensemble des forces engagées dans l’épreuve, ce qui tend à favoriser injustement certains concurrents. » [DC, 55]

Le troisième type d’objet de la critique est la contradiction pouvant ressortir, par exemple entre la parole et les actes, au sein d’un ensemble de principes ou de procédures, etc. Selon Boltanski, « Un des points communs des constructions qui reposent sur une position métacritique de ce type est en effet de rejeter l’idée d’un bien commun, ou même celle d’un espace de débat où s’opposeraient des points de vue différents, pour leur substituer celles de lutte, de puissance, de domination et de rapports de force entre groupes antagonistes. » [DC,32] Cette affirmation surprend lorsque l’on lit ensuite que la violence, « fournit sa principale justification à la critique, dont le premier mouvement consiste à dévoiler et à dénoncer la violence cachée dans les plis et les interstices des dispositifs de pacification associés aux institutions. » [DC, 147] Or dénoncer la violence en l’opposant à la pacification revient à souligner une contradiction, et ce type de dénonciation ne découle pas nécessairement d’une philosophie de type nietzschéen.

La typologie d’objets de la critique dressée par Boltanski fait ressortir le haut degré de généralité vers lequel tend sa théorie de la critique dont nous allons maintenant examiner et interroger certains aspects : le pluralisme sous-jacent du modèle de la cité, l’amoralité du capitalisme dans NEC, le concept d’épreuve et le pessimisme auquel aboutit Boltanski.

Critique et conceptualisation

Conceptualisation et accord dans un monde pluriel

Le modèle de la cité explicite les principes fondant les formes de grandeur politique. Néanmoins, de façon implicite, au travers de la pluralité des formes de grandeur, il acte une division du travail social entre les différents mondes. N’est-il pas problématique de considérer comme structurante une sorte de spécialisation qui, historiquement, s’est plus particulièrement développée avec les révolutions industrielles ainsi que le développement des connaissances, notamment celles d’ordre scientifique ? La spécialisation n’est-elle pas d’ailleurs à contre-courant d’une large part de la philosophie qui, depuis son éclosion, s’est efforcée d’unifier le multiple, de le concevoir synthétiquement si ce n’est systématiquement ? N’aurait-il pas été plus cohérent, d’un point de vue critique, de chercher à unifier les mondes plutôt qu’à les établir comme fondamentalement distincts ?

Ces questions me semblent être au cœur d’une problématique centrale du monde contemporain que le modèle de la cité éclaire remarquablement. Selon Boltanski et Thévenot, la pluralité est associée au développement de la complexité sociale : « dans une société différenciée, chaque personne doit affronter quotidiennement des situations relevant de mondes distincts, savoir les reconnaître et se montrer capable de s’y ajuster. On peut qualifier ces sociétés de « complexes » au sens où leurs membres doivent posséder la compétence nécessaire pour identifier la nature de la situation et pour traverser des situations relevant de mondes différents. » [DJ, 266]

Le pluralisme politique et moral, dont il est question dans DJ, est à distinguer du pluralisme scientifique discriminant des types de connaissances (physique, chimie, biologique, psychologie, sociologie, etc.). Si la question de la pluralité scientifique relève de la science, celle de la pluralité politique et morale relève de conventions. Rien ne dit qu’il ne sera pas possible à l’avenir de réduire le nombre de mondes dans une société donnée, cette réduction pouvant éventuellement contribuer à une appréhension moins complexe de la réalité. Rien ne dit non plus que les cités ne continueront pas à se développer.

Ce qui pose problème, c’est que dans la perspective d’une multiplication des cités, il est difficile d’imaginer comment concevoir et articuler cette pluralité au sein d’une société donnée (sans même parler d’une coordination planétaire qui n’entre pas dans le cadre du modèle de la cité). Le monde contemporain illustre cette aporie avec le désengagement politique d’une foule de personnes tandis que d’autres se radicalisent, avec la diversification des revendications et des partis, avec la multiplication des types de crise, etc. Cette difficulté à concevoir un monde qui se complexifie sans cesse entre en résonance avec une limitation de la sociologie jusqu’à présent : modéliser la société sur le plan macroscopique de manière à pouvoir faire des prévisions et à se projeter vers une réalité alternative. La difficulté à modéliser globalement est à mettre en miroir de celle que rencontre l’économie pour faire des prévisions fiables, des prévisions qui ne sont pas systématiquement ou presque contredites par l’irruption d’événements contingents.

Dans DJ, Boltanski et Thévenot ont axé leurs réflexions sur l’obtention d’accords. L’existence d’une pluralité de mondes et leur diversification progressive soulèvent la question de la possibilité de parvenir à des accords pour l’ensemble d’une société (non pour une sphère sociale en particulier), qui permettent de surmonter le relativisme culturel. Les accords transverses sont possibles grâce à l’axiomatique du modèle, liée aux principes démocratiques et républicains ainsi qu’aux compétences morales des acteurs. Néanmoins, dans la mesure où ces axiomes sont interprétables de différentes manières et susceptibles d’évoluer, dans la mesure où les cités se diversifient et où il convient de prendre en compte les rapports de force, s’accorder au niveau d’une nation peut se complexifier indéfiniment.

Ainsi, la pluralité politique et morale interroge simultanément au sujet de l’appréhension de la réalité (de sa part conventionnelle comme de sa part non conventionnelle) et de la possibilité de s’accorder. Pour jouer sur le mot, elle questionne la capacité à comprendre ainsi qu’à se comprendre, étapes préalables mais non suffisantes pour parvenir à un accord.

Un capitalisme amoral ?

Contrairement à DJ, NEC prend en compte les rapports de force et décrit l’émergence d’une nouvelle cité dite par projets20, « présentée comme étant transversale à toutes les autres21 » et relevant d’un « esprit du capitalisme » particulier à la fin du XXe siècle. Cet esprit n’est plus celui décrit par Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, associé aux entreprises individuelles et familiales bourgeoises, il n’est plus celui des années 1930-1960, incarné par les directeurs d’entreprises industrielles organisant le travail de façon rationnelle. Il est celui d’un monde globalisé où les individus en entreprise, moins soumis à une autorité de type hiérarchique, participent à des projets limités dans le temps, sont connectés les uns aux autres dans l’optique de mener à bien ces projets, s’engagent, s’enthousiasment, prennent des risques, font preuve de créativité, de flexibilité, etc.

Dans cette cité, la grandeur est mesurée à l’aune de l’activité déployée par les personnes. Or l’activité consiste dans une large mesure au travail associé à la sphère du capitalisme qui est défini en mettant l’accent sur « une exigence d’accumulation illimitée du capital par des moyens formellement pacifiques » [NEC, 37], et en le caractérisant comme une « forme historique ordonnatrice de pratiques collectives […] parfaitement détachée de la sphère morale au sens où elle trouve sa finalité en elle-même (l’accumulation du capital comme but en soi) et non par référence, non seulement à un bien commun, mais même aux intérêts d’un être collectif tel que peuple, État, classe sociale. » [NEC, 58-59]

Peut-on considérer le capitalisme comme amoral alors qu’il induit la poursuite d’une accumulation de richesses ? Cette accumulation ne constitue-t-elle pas une des racines de l’économie politique22 ? Si la richesse d’une nation peut être évidemment perçue comme un bien commun23, si le capitalisme est accompagné d’une « conception selon laquelle la poursuite de l’intérêt individuel sert l’intérêt général » [NEC, 48], si l’efficacité capitaliste est plébiscitée par ses promoteurs comme favorisant la liberté politique, « précisément du fait de leur caractère très général et très stable dans le temps, ces raisons ne nous semblent pas suffisantes pour engager les personnes ordinaires dans les circonstances concrètes de la vie, et particulièrement de la vie au travail, et pour leur donner des ressources argumentatives leur permettant de faire face aux dénonciations en situation ou aux critiques qui peuvent leur être personnellement adressées. » [NEC, 50]

Autrement dit, les acteurs sociaux, bien qu’ils disposent de capacités critiques dans la sociologie pragmatique, n’auraient pas les ressources pour critiquer en profondeur le capitalisme puis se servir de cette dénonciation globale pour appuyer leurs revendications concrètes, notamment parce que les fondements moraux avancés par celles et ceux qui soutiennent le capitalisme sont stables dans le temps. En lieu et place de développer une argumentation s’attaquant aux fondements moraux du capitalisme, Boltanski et Chiapello considèrent celui-ci comme amoral et font porter les justifications par des éléments externes au capitalisme. Leur stratégie critique consiste, davantage qu’à s’attaquer aux bases éthiques du capitalisme et à ses contradictions internes, à désencastrer l’économie (au sens de Karl Polanyi) tout en considérant le capitalisme comme amoral. N’est-ce pas concéder au capitalisme une autonomie, bien que partielle, l’immunisant contre des critiques radicales ?

Quoi qu’il en soit, la critique formulée dans NEC ne vise pas une révolution ou un renversement du capitalisme de type marxiste. Elle ne se résout pas non plus à une domination inéluctable, structurelle de l’économie de marché. Elle théorise le capitalisme et ambitionne de l’amender localement, de l’endiguer et de se prémunir contre ses effets destructeurs en préservant autant que possible les cités externes à l’économie, en relançant des critiques qui s’appuient sur ces cités.

La critique à l’épreuve

Pour conclure, élargissons la réflexion sur la critique à partir d’une limite du modèle des cités liée à la notion d’épreuve. Nous avons vu que les épreuves permettent de déterminer les grandeurs. Pour rappel, elles s’appuient sur des dispositifs multiples « très différenciés et inégalement formalisés, mais on peut prendre pour exemple d’épreuves typiques, des examens scolaires, des épreuves sportives, des procédures électorales, des prix littéraires ou encore des évaluations de produits lors de foires, de salons ou de concours24. » Si un point commun à tous ces dispositifs est qu’ils détiennent « une assise institutionnelle25 », remarquons que le concept d’épreuve désigne simultanément :

  1. Une opération d’évaluation ne faisant pas l’objet de critiques particulières par les candidats qui s’y soumettent.
  2. Dans DJ, une opération faisant suite à un litige, à des critiques remettant en cause des principes ou des normes et permettant d’arriver à un accord.

L’épreuve subsume donc des pratiques instituées d’évaluation dont certaines autorisent la critique et d’autres non. L’absence de distinction explicite dans DJ, NEC et DC surprend alors même que l’un des principaux objectifs de Boltanski consiste à relancer la critique. Dans quels types d’épreuves, de quelle manière et avec quelles chances de succès les critiques peuvent-elles être formulées ? Au-delà de la dénonciation, vers quelle organisation sociale est-il possible de se projeter ?

Face à la remise en cause d’une critique qui ne présente pas d’alternative claire, Boltanski rétorque : « C’est un discours que l’on entend beaucoup, comme on sait. Il me semblerait pourtant plus intéressant de tourner nos regards dans l’autre direction, […] c’est-à-dire dans les dispositifs qui permettent à des responsables de contenir la critique et de maintenir en l’état les principales asymétries sociales existantes, quand ce n’est pas de les accroître26. » Les dispositifs en question consistent, d’une part, dans l’ « instrumentalisation de la science économique par les responsables économiques et politiques27 » et, d’autre part, dans la « « montée en puissance et le perfectionnement des techniques de management et des outils de gestion28. » Ils participent d’une domination gestionnaire qui ne laisse pas beaucoup de place à la critique, l’absorbant littéralement et lui substituant des querelles entre expertise et contre-expertise, cette dernière échouant la plupart du temps, notamment parce qu’elle doit se plier aux formats d’épreuve de l’expertise.

La conclusion à laquelle parvient Boltanski au sujet de la critique témoigne d’un pessimisme contrastant de façon saisissante avec l’optimisme dans DJ et la détermination dans NEC : « les nouveaux cadres du capitalisme qui se sont progressivement construits dans les années 1970-2000, ont eu pour effet, en libérant le capitalisme des contrôles d’origine étatique et en accroissant l’interdépendance entre les éléments qui composent la réalité, de rendre le réformisme réellement très difficile à mettre en œuvre, si ce n’est impraticable. Cela en ne laissant plus d’autres alternatives à la critique que l’autodissolution nostalgique, la fuite dans l’utopie assumée comme telle, ou la radicalisation. »

De même que le modèle de la cité, malgré ses limites, éclaire remarquablement le pluralisme politique et moral du monde contemporain, la trajectoire de Boltanski au sujet de la critique me semble particulièrement instructive. Le pessimisme auquel celui-ci aboutit est révélateur d’une efficience limitée voire d’une certaine impuissance de la critique en Occident depuis la chute du mur de Berlin29, que cette critique soit réformiste ou radicale. La critique réformiste, dans la mesure où elle ne remet pas suffisamment en question l’organisation sociale, où elle ne parvient pas à proposer des alternatives fédératrices, a tendance à se dissoudre dans le flot des discours et des dispositifs soutenant l’économie de marché, n’impulsant des modifications qu’à la marge. La critique radicale, parce qu’elle ne dispose d’aucun retour d’expérience crédible, les communismes ayant tous abouti à des régimes parcourant un éventail allant de l’autoritarisme au totalitarisme, obtient difficilement voix au chapitre.

Cette impuissance relative de la critique est à mettre en parallèle avec les limites des conceptualisations sociologiques : comment la critique pourrait-elle triompher de l’expertise si elle ne dispose pas elle-même d’outils rationnels (e.g. les modèles mathématiques et algorithmiques) permettant de se projeter de manière fiable vers un futur alternatif ?


Notes

1. Voir Mohamed Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, Armand Colin, 2009 ; Yannick Barthe , Damien de Blic, Jean-Philippe Heurtin et al., « Sociologie pragmatique : mode d’emploi », Politix, 2013/3 (N° 103), p. 175-204. URL : https://www.cairn.info/revue-politix-2013-3-page-175.htm

2. Luc Boltanski, « Autour de De la justification. Un parcours dans le domaine de la sociologie morale » in Marc Breviglieri, Claudette Lafaye, Danny Trom (dir.), Compétences critiques et sens de la justice, Colloque de Cerisy, Economica, 2009, p. 15.

3. Ibid., p. 16.

4. [DC, 48]. Également Luc Boltanski, préface à Mohamed Nachi, op. cit., p. 9.

5. Nicolas Duvoux, Entretien avec Luc Boltanski, Le pouvoir est de plus en plus savant, La vie des idées, 2011. URL : https://laviedesidees.fr/Le-pouvoir-est-de-plus-en-plus-savant.html : « Je crois que j’ai une tendance prononcée à la critique. À la critique en général, à la critique de mes proches et à l’autocritique, à l’autosubversion, et je déteste le dogmatisme. Je pense qu’il n’y a rien d’aussi contraire à une démarche scientifique ou simplement intellectuelle que le dogmatisme. Il est donc vrai que le tournant que nous avons pris, vers le milieu des années 1980, en formant un petit groupe dont certains membres avaient travaillé avec ou autour du groupe de Bourdieu, était un tournant anti-dogmatique et non pas un tournant politique. »

6. Mohamed Nachi, op. cit., p. 126.

7. Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Plon, 1965, p. 427 : « Il s’agit en fin de compte, partout et toujours, à propos de l’opposition entre valeurs, non seulement d’alternatives, mais encore d’une lutte mortelle et insurmontable, comparable à celle qui oppose « Dieu » et le « diable ». Ces deux extrêmes refusent toute relativisation et tout compromis. »

8. Sur l’opposition holisme/individualisme, voir l’article « Du holisme à l’individualisme méthodologique, un éventail de rationalités » et celui de synthèse sur les modèles en sciences.

9. Voir la métaphore théâtrale d’Ervin Goffman.

10. Avec cette description, j’utilise la formulation donnée par Boltanski dans DC, dans DJ il n’est pas encore question du concept de monde au singulier.

11. Luc Boltanski, « Situation de la critique » in Bruno Frère (dir.), Le tournant de la théorie critique, Artège, 2015.

12. Mohamed Nachi, op. cit., p. 141.

13. Jean Bouillé, Philippe Robert-Demontrond et Éric Rémy, Boltansky et Thévenot et la pensée de l’acteur critique, EMS Éditions, 2015.

14. Ibid.

15. Max Weber, op. cit., p. 125-126. Je souligne.

16. Voir la série d’articles sur les modèles.

17. Robert Descimon, « Le modèle commun de la cité : quelle possible historicisation ? » in Marc Breviglieri, Claudette Lafaye, Danny Trom (dir.), op. cit., p. 277 : « il paraît probable que l’axiomatique développée par Boltanski et Thévenot est propre aux sociétés des droits de l’homme et peut difficilement s’étendre aux périodes historiques antérieures aux Lumières. »

18. Jean Bouillé, Philippe Robert-Demontrond et Éric Rémy, op. cit.

19. Voir aussi le condensé actualisé dans Luc Boltanski, « Situation de la critique » in Bruno Frère (dir.), op. cit.

20. Cité éphémère selon l’aveu de Boltanski, « Situation de la critique » in Bruno Frère (dir.), op. cit. : « La cité par projets est restée dans les limbes et le capitalisme, loin de se réformer, a vu sa violence s’intensifier et ses contradictions se développer au cours des  dix années qui ont suivi, jusqu’à la crise actuelle. »

21. Hatchuel A. (2001), « Le nouvel esprit du capitalisme » : grandeurs et limites d’un spiritualisme dialectique, Sociologie du travail, 43, 3, 402-409 in Jean Bouillé, Philippe Robert-Demontrond et Éric Rémy, op. cit. Présentation dans [NEC, 156-157] : « La vie sociale n’est plus désormais présentée sous la forme d’une série de droits et de devoirs à l’égard de la communauté familiale élargie comme dans un monde domestique, ni sous celle du salariat au sein d’un ensemble hiérarchique dont on gravit les échelons, où l’on effectue toute sa carrière et dans lequel l’activité professionnelle est nettement séparée du domaine privé, comme dans le monde industriel. Dans un monde réticulaire, elle est faite dorénavant d’une multiplication de rencontres et de connexions temporaires, mais réactivables, à des groupes divers, opérées à des distances sociales, professionnelles, géographiques, culturelles éventuellement très grandes. Le projet est l’occasion et le prétexte de la connexion. »

22. Les mercantilistes et les physiocrates s’interrogeaient particulièrement sur la manière de produire la richesse de leur nation. Adam Smith a suivi une tendance en intitulant son célèbre ouvrage Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations.

23. Adam Smith écrit en particulier dans La richesse des nations, Tome II, Paris, Flammarion, 1991, p. 443 : « Les dépenses qu’exige la défense publique, et celle pour soutenir la dignité du premier magistrat, sont faites, les unes et les autres, pour l’avantage commun de la société. »

24. Luc Boltanski, « Situation de la critique » in Bruno Frère (dir.), op. cit.

25. Ibid.

26. Ibid.

27. Ibid.

28. Ibid.

29. Pour un panorama de la critique contemporaine, voir notamment Bruno Frère (dir.), op. cit. Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, La Découverte, 2017.


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