Positivisme et empirisme logique : la loi et la logique contre la métaphysique

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Après avoir envisagé les concepts de loi et de cause en nous appuyant sur les pensées d’Aristote, de Sextus Empiricus, de Newton, de Hume et de Kant, poursuivons l’enquête sur ces notions avec le positivisme d’Auguste Comte ainsi que l’empirisme logique d’Ernst Mach et du Cercle de Vienne.

Auguste Comte : la loi contre la métaphysique

Aux frontières de la physique

Dans l’article précédent, nous nous sommes arrêtés à Kant, contemporain de la Révolution française. Ainsi que je l’ai évoqué dans le premier article sur Durkheim, la Révolution a constitué une rupture à la fois politique, philosophique et religieuse. Auguste Comte, fondateur du positivisme, qualifie cette rupture de « grande crise finale » dans son Discours sur l’esprit positif :

« Dès son origine, cette crise a toujours tendu à transformer en un vaste mouvement organique le mouvement critique des cinq siècles antérieurs, en se présentant comme destinée surtout à opérer directement la régénération sociale […]. Mais cette transformation décisive, quoique de plus en plus urgente, a dû rester jusqu’ici essentiellement impossible, faute d’une philosophie vraiment propre à lui fournir une base intellectuelle indispensable.1. » Le positivisme constitue selon son créateur « l’unique base possible d’une vraie résolution de la profonde anarchie intellectuelle et morale qui caractérise surtout la grande crise moderne2. »

Comment mettre tout le monde d’accord ? À l’aide de la science qui permettrait d’évacuer les considérations théologiques et métaphysiques, notamment grâce aux lois de la nature : « Le caractère fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les phénomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte précise et la réduction au moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts, en considérant comme absolument inaccessible et vide de sens pour nous la recherche de ce qu’on appelle les causes, soit premières, soit finales 3. »

Les lois en question se fondent sur l’étude des mathématiques, seul moyen permettant de mesurer, de « connaître avec précision la méthode générale que l’esprit humain emploie constamment dans toutes ses recherches positives, parce que nulle part ailleurs les questions ne sont résolues d’une manière aussi complète, et les déductions prolongées aussi loin avec une sévérité rigoureuse4. »

La critique que Comte formule à propos des causes métaphysiques ne se limite pas aux « agents surnaturels » de type religieux, elle vise également les entités imaginaires comme l’éther ou d’autres fluides régulièrement employés en tant que causes des phénomènes physiques.

L’idéalisation de la loi

D’une manière moins essentialiste qu’un Platon, Comte a idéalisé les possibilités d’une science en perpétuelle évolution, plus spécialement le concept de loi qui a soutenu la révolution scientifique du XVIIe siècle : selon lui, tous les phénomènes, y compris sociaux, sont « assujettis à des lois naturelles invariables ».

De ce point de vue, il prolonge la philosophie de Hume pour lequel l’ensemble du monde est déterminé par la « nature ». Mais il rejoint aussi celle de Kant en soulignant l’importance de la raison : « Il ne peut exister que deux moyens généraux propres à nous dévoiler, d’une manière directe et entièrement rationnelle, la loi réelle d’un phénomène […] ; en un mot, l’induction ou la déduction. Or, l’une et l’autre voie seraient certainement insuffisantes, même à l’égard des plus simples  phénomènes, aux yeux de quiconque a bien compris les difficultés essentielles de l’étude approfondie de la nature, si l’on ne commençait souvent  par anticiper sur les résultats, en faisant une supposition provisoire, d’abord essentiellement conjecturale, quant à quelques-unes des notions mêmes qui constituent l’objet final de la recherche5. »

On retrouve ici les prémices d’une analyse que développera un siècle plus tard Karl Popper en mettant l’accent sur la déduction. Ce que je souhaite souligner à ce stade de la réflexion, c’est qu’en généralisant et en idéalisant le concept formel de loi, Comte l’a utilisé pour simultanément :

  1. Disqualifier un certain nombre d’entités métaphysiques non formelles (Dieu, éther…) désignées comme causes.
  2. Justifier un ordre social.

Or les lois sociales qu’il évoque – en particulier la loi des trois états (théologique, métaphysique, positif) –, n’ont pas la même base théorique et empirique que les lois physico-chimiques. En particulier, elles n’incluent pas de formules mathématiques, du moins des mesures numériques, comme le feront les lois de Durkheim concernant le suicide. On peut alors apporter la précision suivante : le concept de loi contribue à délimiter ce qui est d’ordre physique pour les phénomènes microscopiques ou inorganiques, mais il n’en va pas nécessairement de même pour les phénomènes biologiques macroscopiques.

Écarter les entités métaphysiques non formelles ne suffit pas à garantir que l’on se maintient dans le domaine scientifique, ce qu’illustre l’idéalisation comtienne du concept de loi : la loi scientifique, s’étendant continument de l’infiniment petit à l’infiniment grand, unifie les différentes sciences en une « philosophie positive » de laquelle il est possible de déduire la morale ainsi que la politique6.

Naturalisme, relativisme et mécanique quantique

La synthèse naturaliste d’Ernst Mach

Auguste Comte est fortement critiqué pour avoir ambitionné, dans une seconde partie de ses réflexions, d’instaurer une « religion démontrée7 », fondée sur la science et les sentiments. Néanmoins, en philosophie des sciences, sa postérité est abondante, elle inclut notamment Durkheim.

Le physicien et philosophe autrichien Ernst Mach, qui s’inspire davantage de Hume que de Comte, engage lui aussi en 1883 à délaisser la métaphysique : « Nous devons limiter notre science physique à l’expression des faits observables, sans construire d’hypothèses derrière ces faits, où plus rien n’existe qui puisse être conçu ou prouvé8. »

Selon Mach, l’observation s’effectue au travers des sensations qui permettent de percevoir des « côtés » des phénomènes. « Les traces laissées dans la mémoire par des sensations antérieures déterminent essentiellement le sort psychique des complexes de sensations qui se produisent à nouveau ; elles s’y mêlent insensiblement, s’attachent à la sensation et s’y fixent en la développant : nous les nommons  représentations9. »

Comme les animaux, l’homme se forme des concepts qui correspondent à des ensembles de représentations et de « réactions » liées à ces représentations, souvent instinctives. Par exemple, pour un lièvre, « être attiré par un chou » qu’il perçoit. Mais l’homme se distingue des animaux par l’emploi du langage qui permet de « classifier les faits », de les regrouper en catégories, celles-ci pouvant être « étiquetées » par un nom.

Mach adopte, dans la continuité de Hume, une perspective psycho-logique, et dans celle de Darwin, une perspective évolutionniste. Ainsi, les concepts sont le résultat d’une évolution et d’une histoire, leur articulation forme une « construction abstraite », à l’image du schéma précédent.

À l’instar de Comte, Mach s’intéresse au concept de loi scientifique qui « s’applique à tous les êtres humains normaux, et ne peut être modifiée, tant que leurs facultés de perception gardent le même degré de développement10 » ; une loi « est toujours une limitation des possibilités ». Mais contrairement au fondateur du positivisme, qui rejetait la psychologie, Mach inscrit le concept de loi dans une perspective psychologique : « les lois de la nature sont un produit du besoin psychologique que nous avons de retrouver notre chemin dans la nature, de ne pas rester étrangers et embarrassés devant les phénomènes11. »

Les premières tentatives d’énonciation de lois naturelles, mythologiques et poétiques, ont laissé progressivement place à la « recherche quantitative » qui permet d’affiner les connaissances et de les « accumuler ». « Pour appliquer d’une façon simple, aussi générale que possible les lois de la nature aux faits réels concrets, nous devons recourir à l’abstraction, à la simplification, à la schématisation ; nous idéalisons les faits, nous les décomposons dans notre esprit en éléments simples, qui, rassemblés par la pensée, nous permettent de reconstruire avec une exactitude suffisante les faits donnés. »

La relégation des causes au profit de la loi

Dans son désir d’éliminer les considérations métaphysiques de la science et de s’en tenir à ce que nous pouvons percevoir des faits, Mach va jusqu’à déclarer : « Dans la nature il n’y a ni causes, ni effets. La nature n’est présente qu’une fois. Les répétitions de cas semblables où A est toujours lié à B, c’est-à-dire les conséquences identiques de circonstances identiques, dans lesquelles consiste précisément l’essentiel de la relation de cause à effet, n’existent que dans l’abstraction que nous employons afin de copier les faits dans la pensée12. »

Il s’agit là d’une critique radicale et probablement excessive des logiques non formelles (s’appliquant aux phénomènes physiques), d’autant que Mach emploie largement des éléments de psycho-logie, domaine où il innove en s’inspirant des travaux de Gustav Fechner. Si son scepticisme vis-à-vis des causes l’amène à rejeter la « réalité » du concept d’atome, il appréhende plusieurs aspects psychologiques qui inspirent la théorie de la Gestalt. Certains de ces aspects sont aujourd’hui reformulés au travers des biais cognitifs.

Cette orientation bio-psychologique est reprise en partie13 par les membres du Cercle de Vienne un collectif de scientifiques des années 1930 dont Mach est l’une des principales sources d’inspiration, et dont la philosophie sera désignée ensuite sous les expressions « positivisme logique » ou « empirisme logique ». À la suite de Christian Bonnet et Pierre Wagner14, je privilégie la seconde expression dont le périmètre est plus étendu que la première. Elle reflète davantage la diversité et la fécondité des débats entre les membres du Cercle.

Ceux-ci poursuivent l’effort d’éviction de la métaphysique du domaine scientifique. Une métaphysique qui désigne à la fois des entités non formelles (ex : Dieu, éther…), ainsi que certaines entités formelles15, à l’instar de « la loi de causalité » ou de « la loi morale » chez Kant, détenant le pouvoir d’influencer le monde physique (la nature).

L’orientation antimétaphysique du Cercle de Vienne n’est-elle pas surprenante, alors qu’au début des années 1930, la théorie de la relativité d’Einstein est déjà amplement acceptée, et que le Cercle reconnaît le principe d’indétermination d’Heisenberg (1927) en mécanique quantique ?

La théorie de la relativité va dans le sens d’un conventionnalisme, tel qu’énoncé par Henri Poincaré : plusieurs systèmes d’axiomes distincts permettent de décrire les positions et les mouvements de phénomènes physiques. Or le conventionnalisme peut être utilisé comme un argument contre l’existence d’entités métaphysiques formelles telles que la loi de causalité16.

Concernant la mécanique quantique, celle-ci remet en question l’idée d’une nature qui serait « déterminée », et donc déstabilise la causalité. Elle peut être perçue comme mettant en avant le concept de loi, cette dernière incluant la notion de probabilité17, plutôt que le concept de cause qui entraîne insensiblement vers des considérations métaphysiques (régression infinie vue précédemment)18.

Antimétaphysique et idéalismes du Cercle de Vienne

Une conception antimétaphysique

Quoi qu’il en soit de leurs interprétations philosophiques, ni la théorie de la relativité ni la mécanique quantique ne sont de nature à inverser une tendance que l’on trouve chez Comte puis Mach : celle qui consiste à privilégier le concept de loi par rapport à celui de cause, et à vouer aux gémonies la métaphysique. Cette attitude antimétaphysique peut surprendre également à la lecture du célèbre Manifeste du Cercle de Vienne (1929) qui, d’entrée, souligne le contexte historique et politique d’émergence du Cercle :

« Que Vienne ait été un lieu particulièrement propice à un tel développement d’idées s’explique par des raisons historiques. Tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle, le libéralisme était la tendance politique dominante à Vienne. Les sources de son univers intellectuel sont les Lumières, l’empirisme, l’utilitarisme et le libre-échangisme anglais. Des savants de réputation mondiale occupaient une place de premier rang dans le mouvement libéral viennois. C’est là qu’on a cultivé un esprit antimétaphysique  […]19. »

N’est-ce pas étrange que l’esprit antimétaphysique soit cultivé au milieu de courants politiques définissant des orientations éthiques particulières, notamment l’universalisme des Lumières ? Or depuis Hume, référence incontournable des empiristes, l’éthique relève de la métaphysique !

À l’esprit antimétaphysique correspond une approche systématique visant une science unitaire : « La conception scientifique du monde ne se caractérise pas tant par des thèses propres que par son attitude fondamentale, son point de vue, sa direction de recherche. Elle vise la science unitaire. Son effort est de relier et d’harmoniser les travaux particuliers des chercheurs dans les différents domaines de la science […]. De là, la recherche d’un système formulaire neutre, d’un symbolise purifié des scories des langues historiques, de là aussi la recherche d’un système total de concepts.20. »

Dans un autre texte21, Otto Neurath avance qu’il n’existe pas un système mais « des systèmes ». Néanmoins, ceux-ci reposent sur une « langue unitaire » qui permet de réduire l’ensemble des énoncés d’observation au domaine de la physique.

Les membres du Cercle sont pour la plupart des scientifiques, spécialisés majoritairement en physique et en sciences formelles (mathématiques, logique). Neurath, quant à lui, est sociologue. La paternité de l’expression « science unitaire » lui revient, et ce point me semble loin d’être anecdotique dans la mesure où le présent article s’insère dans un ensemble de réflexions sur la sociologie. Neurath forge aussi l’idée de « physicalisme » : « Il serait moins équivoque de parler d’un « Cercle de Vienne du physicalisme », car « monde » est un terme absent de la langue scientifique et conception du monde est souvent confondu avec vision du monde22. »

La notion de vision du monde (Weltanschauung en allemand) est une expression alors très répandue en philosophie, elle est associée à une conception duale du monde (Platon, Descartes, Kant…) : d’une part l’esprit, d’autre part la nature. Le Cercle, dans une veine naturaliste ou moniste (par opposition à duale), rejette cette dualité et vise une conception « unitaire » de la science opérée au travers d’un langage scientifique universel.

L’approche physicaliste du Cercle se distingue de celle de Comte par sa défiance vis-à-vis des philosophies en général, seules les sciences étant jugées nécessaires et suffisantes pour élaborer une « conception scientifique ». Elle rejoint toutefois la démarche comtienne au travers de l’importance accordée au concept de loi. Le passage suivant de Neurath manifeste l’idéalisation de la loi au sein d’un propos écologique :

« On peut bien délimiter différents types de lois les uns par rapport aux autres, comme par exemple les types chimique, biologique, sociologique, mais on ne peut pas dire de la prédiction d’un phénomène concret singulier qu’elle ne dépend que d’un type déterminé de lois. Que, par exemple, un incendie de forêt puisse se déclarer d’une certaine manière dans quelque partie du monde, cela dépend autant du climat que de la part qu’y prendront ou non les interventions humaines. On ne peut prédire ces interventions qu’une fois que l’on connaît les lois du comportement humain. Ce qui signifie qu’on doit pouvoir relier entre eux, à certaines conditions, tous les types de lois. Par conséquent, toutes les lois, que ce soient celles de la chimie, de la climatologie, de la sociologie, doivent être conçues comme des parties d’un système, celui de la science unitaire23. »

Les idéalismes logiques de Carnap et Neurath

Pour parvenir à une science unitaire, purifiée de ses scories métaphysiques, Rudolf Carnap table dans ses premières réflexions sur un langage qui se fonde, d’une part, sur la nouvelle logique, notamment celle de Wittgenstein qui lui-même puise chez Russell ou Frege et, d’autre part, sur la psychologie empirique telle qu’esquissée par Mach et les gestaltistes. Il décompose ainsi le langage jusqu’à obtenir des énoncés élémentaires, dits protocolaires (en référence aux protocoles expérimentaux des sciences). Pour qu’un énoncé élémentaire détienne une signification,et qu’il satisfasse ainsi l’exigence de vérifiabilité24, chacun de ses termes doit correspondre à des observations ou expériences immédiates, indépendantes de toute théorie. Une expression portant sur un « pseudo-objet » est alors considérée comme d’ordre métaphysique.

Par exemple, dans la proposition « la rose est rouge25 », le substantif rose et l’adjectif rouge font référence à la perception de l’objet ainsi qu’à celle de sa couleur. Dans l’énoncé « la rose est une chose », le mot chose ne fait référence à aucune perception particulière. De même, l’expression « l’âme du peuple » ne désigne rien qui puisse être expérimenté. Un langage qui pourrait se réduire à des observations sensibles apparaîtrait comme une « langue parfaite ».

L’approche de Carnap est rapidement critiquée au sein du Cercle par Neurath26. Ce dernier souligne notamment que tout énoncé, aussi élémentaire soit-il, dépend d’une théorie. Par exemple, l’objet rose dépend d’une classification botanique et la couleur rouge d’un spectre de longueurs d’onde :

Philip Ronan, Gringer / CC BY-SA

Quand bien même on compléterait l’adjectif « rouge » par une mesure précise de longueur d’onde, l’emploi de mesures mathématiques n’ajouterait rien en termes de signification. Ici, Neurath opère une déduction qui peut être reliée à Wittgenstein : ce dernier écrit dans le Tractactus logico-philosophicus (6.1) que « les propositions de la logique sont des tautologies ». Une tautologie est une proposition qui est toujours vraie, quelle que soit la vérité de ses propositions élémentaires. De plus, Russel, et Wittgenstein à sa suite, estiment que les mathématiques peuvent être fondées sur la logique (ce qui a été compromis ultérieurement par le théorème d’incomplétude de Gödel). Dans une perspective similaire, Neurath estime qu’une mesure expérimentale est tautologique : « Dans l’exemple : « Otto dit à Karl : va dehors lorsque le drapeau flotte et que 2 fois 2 font 4 », l’adjonction de la tautologie ne modifie en rien l’efficace du commandement27. »

En écartant les mesures mathématiques qui permettent de parvenir à des égalités ponctuelles, bien qu’approximatives, entre énoncés théoriques et énoncés d’observation, Neurath coupe la jonction entre langages et phénomènes physiques que Carnap essayait d’établir, de façon psychologique, et non mathématique. En lieu et place, Neurath estime que seule une cohérence d’ensemble (position dite cohérentiste) de la langue unitaire de la science permet de fonder la science :

« Il n’y a aucun moyen qui permettrait de faire, d’énoncés protocolaires dont on se soit définitivement assuré de la pureté, le point de départ des sciences. Il n’y a pas de tabula rasa. Nous sommes tels des navigateurs  obligés de reconstruire leur bateau en haute mer, sans jamais pouvoir le démonter dans un dock et le rebâtir à neuf avec de meilleures pièces28. » La métaphore du bateau marquera les esprits et sera reprise par le philosophe américain W.V.O Quine29.

Face à l’idéal logique de correspondance entre des mots et des perceptions de faits, imaginé par Carnap, Neurath propose un idéal logique de cohérence d’ensemble de la langue unitaire de la science. Par ses remarques, Neurath convainc Carnap de faire évoluer ses théories, le concept d’énoncé élémentaire/protocolaire demeurant problématique.

Dans leur quête éthique et scientifique visant à disqualifier la métaphysique, le positivisme et l’empirisme logique ont versé dans l’idéalisation des outils sur lesquels ils comptaient pour atteindre ce but, à savoir : la loi scientifique et la logique. Il se dégage de ces péripéties épistémologiques un cercle vicieux de l’idéalisme consistant à considérer comme vraies et à figer des conceptualisations (métaphysiques ou non) ayant contribué à l’amélioration des connaissances.


Notes

1. Auguste Comte, Discours sur l’esprit positif, UQAC, 2002. URL : http://classiques.uqac.ca/classiques/Comte_auguste/discours_esprit_positif/discours_esprit_positif.html

2. Ibid.

3. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, tome 1, Bachelier, 1830, p. 14. Ouvrages disponibles sur Gallica. Je souligne.

4. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, tome 1, Bachelier, 1830, p. 135.

5. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, tome 2, Bachelier, 1835, p. 433. Je souligne.

6. Auguste Comte, Système de politique positive, Tome I, Otto Zeller, 1967, p. 8-9 : « l’office propre de la philosophie consiste à coordonner entre elles toutes les parties de l’existence humaine, afin d’en ramener la notion théorique à une complète unité. […] Si la philosophie tentait d’influer directement sur la vie active autrement que par cette systématisation, elle usurperait vicieusement la mission nécessaire de la politique, seule arbitre légitime de toute évolution pratique. Entre ces deux fonctions principales du grand organisme, le lien continu et la séparation normale résident à la fois dans la morale systématique, qui constitue naturellement l’application caractéristique de la philosophie et le guide général de la politique. »

7. Auguste Comte, Catéchisme positiviste, UQAC, 2002.

8. Ernst Mach, La mécanique (1883), Hermann, 1904, p. 466.

9. Ernst Mach, La connaissance et l’erreur, Flammarion, 1908, p. 34.

10. Ibid., p. 368.

11. Ibid., p .374.

12. Ernst Mach, La mécanique, p. 451.

13. En particulier dans La construction logique du monde de Rudolf Carnap.

14. Christian Bonnet et Pierre Wagner (dir.), L’âge d’or de l’empirisme logique, Gallimard, 2006, p. 8-13

15. Kant les appelle des jugements synthétiques a priori. Je n’emploie pas cette terminologie car elle est difficile d’accès et qu’elle a été réfutée à de multiples reprises (notamment par Quine, Deux dogmes de l’empirisme). J’essaie ici de formuler les choses d’une manière plus claire, qui s’insère dans une conception d’ensemble des sciences.

16. Sur ce point, comme sur bien d’autres, les membres du Cercle n’ont pas tous eu le même avis (Christian Bonnet, Pierre Wagner (dir.), op. cit., p. 54-56). Disons que la théorie de la relativité n’est pas en contradiction avec leur antimétaphysique.

17. En particulier, la fonction d’onde permet de calculer la probabilité de détecter une particule dans une zone géographique donnée à un instant donné.

18. Je n’entre pas davantage dans le détail de débats vastes et qui n’ont aucune réponse solide à ce jour. Nous ne savons pas si l’indétermination quantique découle ou non d’une forme de non causalité.

19. Antonia Soulez (dir.), Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, PUF, 1985, p. 110.

20. Ibid., p. 115. Je souligne.

21. Otto Neurath, « La sociologie dans le physicalisme » in Christian Bonnet et Pierre Wagner (dir.), op. cit., p. 263-309.

22. Ibid., p. 265.

23. Ibid., p. 269.

24. Pierre Jacob, De Vienne à Cambridge, l’héritage du positivisme logique, Gallimard, 2007, p. 17 : « un énoncé a une signification (autrement dit, fait une assertion vraie ou fausse) si et seulement s’il n’est pas analytique ou contradictoire et s’il est logiquement déductible d’une classe finie d’énoncés observationnels. »

25. Dominique Lecourt, « Article Positivisme » in Dominique Lecourt (dir.), Dictionnaire d’histoire et philosophie des sciences, PUF, 2014, p. 874.

26. Pour une approche plus détaillée du débat Carnap-Neurath, voir Anouk Barberousse, Max Kistler, Pascal Ludwig, La philosophie des sciences au XXe siècle, Flammarion, 2000, p. 14-31.

27. Otto Neurath, « Énoncés protocolaires » in Antonia Soulez (dir.), Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, PUF, 1985, p. 222.

28. Ibid., p. 223.

29. W. V. O. Quine, « Identité, ostension et hypostase », dans Du point de vue logique (1953), Paris, Vrin, 2003, p. 121-122.


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