Après la liberté

Mont Beuvray – Morvan

La question de la liberté a nourri mes réflexions depuis une quinzaine d’années. L’essai paru début 2019 a représenté un jalon important de mes investigations qui ont abouti à l’article sur le choix1 publié en juin dernier. J’ai enfin pu y préciser les interrogations qui persistaient et dégager une cohérence qui a émergé du halo mythique entourant ce concept fondateur des cités et des États occidentaux. Pour parvenir à une meilleure appréhension, il m’a fallu développer mes connaissances en sciences puis revenir aux origines européennes de celles-ci et de la philosophie : la Grèce antique. Car la liberté, au même titre que la vérité, demeure un concept abscons et générateur d’idéalisations. On peut d’ailleurs s’étonner du fait que les deux problématiques soient aussi intimement liées dans les pensées occidentales.

L’intrication de la liberté et de la vérité remonte aux prémices de la philosophie, à Thalès et Pythagore, à l’avènement des mathématiques qui sont devenues la clé de techniques offrant aux êtres humains une meilleure compréhension et une certaine maîtrise de leur environnement. Les concepts mathématiques ont contribué à ouvrir la voie aux divers imaginaires philosophiques (idéalistes, matérialistes, etc.) qui ont cherché à décrire le plus fidèlement possible la réalité. Ainsi, la démarche philosophique apparaît comme l’essai, répété indéfiniment, de définir les concepts ou idées ainsi que leurs rapports avec la réalité, en particulier dans une perspective morale.

La projection d’Homo sapiens vers ce qui l’entoure n’est-elle pas fascinante ? de même que son aspiration à comprendre, au sens premier du terme, ce qu’il perçoit ? Serait-ce pour dominer ? À ce sujet, l’étude de l’Antiquité édifie, elle permet de se déprendre des imaginaires de puissance modernes. Car la soumission philosophique antique à la nature constitue un paradigme distinct qui n’a pas été une simple parenthèse historique. Aussi éloignés que peuvent être les imaginaires antiques et modernes, ils se rejoignent dans l’ambition de connaître, d’accroître un savoir qui, à défaut de procurer une maîtrise, fournit une assurance spirituelle.

Pouvoir et liberté sont synonymes. On l’oublie volontiers ou l’on n’y prête guère attention alors qu’il s’agit de l’indication première de la faille épistémologique du terme de liberté : occulter le pouvoir. Ne serait-ce pas ce dernier qui domine finalement la liberté et la vérité, ainsi que le soupçonnait Nietzsche ? À vouloir toujours remonter plus haut dans les concepts, on se perd dans l’abstraction et la synthèse, un égarement qui autorise différentes théories non fondées à étendre leur empire sur les esprits.

Revenons sur Terre. La liberté demeure imaginaire2, fluctuant d’une conception à l’autre. Seules se concrétisent les libertés de (liberté de penser ou d’exprimer ceci ou cela, de se protéger d’un péril, de voter, d’entreprendre un projet, etc.), cette foule de possibilités conditionnées dont l’abondance peut constituer un fardeau, au lieu d’une invitation à agir, quand nous devenons la proie de l’angoisse au moment de décider. De surcroît, nous avons la capacité de créer toujours plus d’options grâce à nos réflexions et à nos fabrications. Sauf à se retrouver sous la coupe d’un tyran, ce qui n’est jamais à exclure, une problématique majeure qui se pose en démocratie est celle de déterminer quelles libertés privilégier, collectivement ou individuellement.

Les politiques étant orientées par des idéalismes philosophico-religieux qui induisent une lutte perpétuelle3, je m’en suis distancié. Je préfère m’intéresser aux connaissances et aux techniques qui permettent d’atteindre une certaine tranquillité au sein d’un univers instable, partager ces connaissances et ces techniques, le tout sans impacter négativement mon environnement. Il s’agit, plutôt que de définir une éthique (nécessairement commune), d’élaborer des perspectives qui alimentent mes orientations personnelles et qui peuvent participer d’une expérience collective.

Parmi les thèmes que je pourrais évoquer au fil des prochaines années figure celui des rapports entre pensée et réalité évoqué plus haut. La propension des êtres humains à s’efforcer d’accorder leur cadre de vie à leurs imaginaires n’est-elle pas remarquable ? Les imaginaires peuvent varier à l’infini au niveau de leurs détails tout en se recoupant culturellement dans leurs grandes lignes (avoir une famille, disposer d’un travail, construire des habitations, des outils, des moyens de communication, etc.). Non seulement l’homme sculpte son milieu et l’inscrit dans un ensemble d’histoires, mais il s’identifie à cette sculpture, se figeant progressivement alors que le monde ne cesse de tourner et d’éroder ce qu’il a mis tant de temps à façonner.

La question des rapports entre pensée et réalité telle que je l’envisage relève de la psychologie davantage que de la philosophie. Tandis que cette dernière s’efforce de rapprocher voire de faire adhérer les deux notions, l’investigation psychologique que je poursuis va dans le sens d’une distanciation qui contribue à accepter des réalités douloureuses, révoltantes ou désespérantes, sans pour autant se résigner à les subir passivement.


1. https://damiengimenez.fr/de-la-preponderance-du-choix-dans-les-cultures-occidentales/

2. La liberté, en tant qu’agglomérat de libertés pondérées, pourrait se concrétiser si une conceptualisation précise venait à être adoptée par une société particulière. Mais elle serait alors dépendante de son contexte culturel et perdrait son universalité.

3. Cf. Max Weber : https://damiengimenez.fr/la-rationalite-selon-max-weber-raison-desenchantee-et-ideal-sociologique/#Guerre_des_dieux_vs_faits


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