Le biais de confirmation, au cœur d’un réseau de biais

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Parmi la liste étoffée des biais cognitifs1, qui ne cesse de s’allonger au gré des recherches en psychologie, figure le biais de confirmation2 dont on trouve déjà les prémices chez Thucydide : « on jugeait plutôt sur d’aveugles désirs que sur les données exactes d’une saine prévoyance. Tels sont les hommes : quand ils désirent une chose, ils s’abandonnent inconsidérément à l’espérance ; et ils ont toujours des raisons sans réplique pour repousser arbitrairement ce qui leur déplaît3. » Thucydide a envisagé l’histoire comme une source d’apprentissage dépendant de la constance de la nature humaine4 : tant que celle-ci demeure identique à elle-même, les individus sont enclins à reproduire les mêmes comportements, délétères et violents dans le cas de la Guerre du Péloponnèse.

D’autres penseurs ont par la suite observé une tendance similaire à privilégier des formes de raisonnement par rapport à d’autres : Dante Alighieri, Thomas d’Aquin, Ibn Khaldoun ou Francis Bacon, protagoniste du dernier article5 : dès « que certaines idées l’ont séduit, soit par leur charme, soit par l’empire de la tradition et de la foi qu’on leur prête, [l’esprit] contraint tout le reste de revenir à ces idées et de s’accorder avec elles6 ». Des expérimentations menées dans les années 1960 par le psychologue anglais Peter Wason sont à l’origine de l’expression « biais de confirmation » qui peut être définie, selon Raymond S. Nickerson, comme la recherche ou l’interprétation de données, réalisée de manière partiale en fonction de croyances existantes, d’attentes ou d’hypothèses disponibles7.

Dans le prolongement de l’approche baconienne, le concept englobe davantage de considérations liées aux méthodes scientifiques qui favorisent la production de conjectures. Bien que ces dernières résultent davantage de raisonnements que de passions ou d’héritages traditionnels, le biais de confirmation demeure. Par exemple, des expérimentations menées depuis 1960 ont mis en relief que les êtres humains recherchent le plus souvent des données cohérentes avec leurs conjectures, ils formulent des questions étayant celles-ci et dont les réponses sont affirmatives8. Ils n’adoptent pas spontanément la démarche de falsification, développée par K. Popper, qui induit d’explorer et d’inventorier de la façon la plus exhaustive possible les configurations potentielles afin de s’assurer qu’aucune donnée n’entre en contradiction avec les hypothèses testées.

Cette tendance à expérimenter des informations cohérentes (vs en contradiction) avec les conjectures élaborées opère à un niveau inconscient. Elle constitue elle-même un biais qui contribue à expliquer le biais de confirmation, ce dernier apparaissant comme le fruit de biais plus élémentaires9. Par ailleurs, de même que la tendance à surestimer ce que nous croyons savoir10, celle à considérer les petits échantillons comme représentatifs ou la dissonance cognitive11, le bais de confirmation participe d’une tension vers la certitude, plus générale et ancrée dans la culture occidentale. Dans quelle mesure cette tension est-elle innée plutôt qu’acquise ? La réponse à cette question me semble loin d’être évidente dès lors que les habitudes intellectuelles associées, immémoriales, ne peuvent être reliées de manière irréfutable à des éléments biologiques, plus spécialement à l’évolution.


1. https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_cognitive_biases

2. https://en.wikipedia.org/wiki/Confirmation_bias

3. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse I, Libraire-Éditeur G. Charpentier, 1883, p. 438. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1122993/f25.item  

4. https://damiengimenez.fr/justice-verite-et-nature-dans-la-grece-du-ve-siecle-aec/#La_nature_humaine

5. https://damiengimenez.fr/la-philosophie-technico-naturelle-et-critique-de-francis-bacon/

6.  Francis Bacon, Novum Organum, Hachette et Cie, 1857, I, 46, p. 14.

7. Nickerson, Raymond S. (1998), « Confirmation bias: A ubiquitous phenomenon in many guises », Review of General Psychology2 (2): 175–220, p. 175,  doi:10.1037/1089-2680.2.2.175.

8. Ibid., p. 200-202.

9. Ibid.

10. Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2, Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2016 : « Nous sommes enclins à surestimer la compréhension que nous avons du monde et à sous-estimer le rôle du hasard dans les événements. Cette trop grande certitude en soi est alimentée par la certitude illusoire de la sagesse rétrospective. Mon opinion à ce sujet a été influencée par Nassim Taleb, l’auteur du Cygne noir. »

11. https://en.wikipedia.org/wiki/Cognitive_dissonance


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