À quoi bon la vérité ? Pascal Engel vs Richard Rorty

Il y a vingt ans, en novembre 2002, s’est tenue à la Sorbonne une rencontre entre Pascal Engel et Richard Rorty où leurs profonds désaccords au sujet de la notion de vérité ont pu être explicités de manière synthétique. Dans cet échange, Pascal Engel défend notamment une conception normative de la vérité qu’il distingue d’une conception morale, cette distinction étayant la possibilité « que le vrai puisse être la norme de nos pratiques discursives, aussi bien dans la vie quotidienne que dans les sciences ». Richard Rorty, écartant l’expression de « concept normatif » et s’inscrivant dans une perspective pragmatiste, fait prévaloir l’utilité sociale.

Quelques extraits1 :

Pascal EngelRichard Rorty
« je concède qu’il y a un lien étroit entre justification et vérité, mais ce lien n’est pas d’identité. […] quand on a des raisons d’asserter ou de croire une proposition, on a des raisons de croire qu’elle est vraie. »« j’interprète le contraste entre la vérité et les croyances qui nous paraissent justifiées par rapport aux différences entre divers auditoires […]. Cette interprétation résulte de la conviction que nous n’avons de responsabilité qu’à l’égard des êtres humains, et non pas à l’égard de la ‘réalité’ ».
La vérité est un « concept normatif. […] dire qu’il y a une norme de vérité pour les discours quotidiens ne signifie pas que nous devons toujours dire la vérité, ou qu’elle est le but suprême de nos enquêtes. »« Je ne suis pas sûr de bien comprendre la notion de ‘concept normatif’. Si […] cela signifie que la vérité est un bien intrinsèque, possède une valeur intrinsèque, alors la proposition est trop obscure pour valoir la peine qu’on en discute. »
Si nous adoptons un langage « plus conforme à ce que le pragmatisme recherche […], qu’est-ce qui nous dit que les valeurs et vertus demeureraient présentes parmi nous ? […] À mon avis, [la vérité] disparaîtrait purement et simplement ».« Je pense que la re-description est une tâche importante que cherchent à accomplir […] les intellectuels en général. Ils modifient nos usages des mots et, ce faisant, bâtissent de nouveaux mondes intellectuels. »

1. Pascal Engel et Richard Rorty, À quoi bon la vérité ?, Grasset, 2005.


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