George Washington a déclaré : « si les hommes doivent être empêchés d’exprimer leurs opinions sur une question pouvant entraîner les conséquences les plus graves et alarmantes qui puissent appeler l’attention de l’humanité, alors la raison ne nous sert à rien ; la liberté de parole peut nous être retirée, et, muets et silencieux, nous pourrions être menés, comme des moutons, à l’abattoir1. » Toutefois, si l’opinion se permet de falsifier les faits et de récuser les sciences, du moins certaines théories, ne risque-t-elle pas, si ce n’est d’acheminer à l’abattoir, d’entraîner à une forme d’asservissement ?
Par exemple, le monde imaginé par Donald Trump apparaît non seulement isolé mais en décalage avec certaines réalités historiques (ex : mensonges proférés au sujet de l’immigration) et scientifiques (ex : climato-scepticisme). Or la victoire du candidat républicain va lui permettre de façonner dans une certaine mesure la politique et l’économie en fonction de ses idées. Ainsi, le premier amendement de la Constitution américaine, en interdisant de limiter la liberté d’expression, offre la possibilité à des individus d’entraîner avec eux dans l’erreur des dizaines de millions de personnes. Dans ces conditions, on peut se demander si les pères fondateurs des États-Unis n’ont pas été excessivement confiants en la raison humaine.
Cet excès de confiance en la raison se retrouve de manière plus générale dans les philosophies des Lumières2 qui associaient trop intimement progrès et raison, science et éthique. Parallèlement, elles établissaient un lien entre raison et liberté (la raison libère des superstitions, de l’obscurantisme) qui, pour sa part, continue de se justifier, à la fois d’un point de vue psychologique et d’un point de vue moral : la construction d’un monde ou d’un univers mental niant des pans de l’histoire et des sciences induit une forme d’aveuglement, elle empêche d’analyser correctement la réalité, elle favorise la culture d’idéalisations (idéaux de puissance plus spécialement en politique) et l’excès d’émotions négatives (angoisse, stress, colère, tristesse) qui découlent des oppositions et des incertitudes diverses liées aux idéalisations. Elle alimente le cercle vicieux3 des oppositions et des idéalisations.
L’isolationnisme populiste en vogue aux États-Unis manifeste un manque de distance psychologique par rapport à des idéaux (politiques, économiques ou religieux). C’est l’attachement excessif aux idéaux qui entraîne un repli sur soi (un soi idéalisé), une crispation morale qui empêche de trouver des solutions de cohabitation pacifique. Car l’isolationnisme américain n’est pas davantage garant de paix que ne l’est l’interventionnisme : s’il ne s’agit pas de faire la guerre militaire, il s’agit d’intensifier la guerre commerciale, notamment au travers de protections douanières.
L’élection de Donald Trump pour la seconde fois à la Maison Blanche s’inscrit dans la centrifugation politique que j’évoquais en juin dernier4 : les pays occidentaux sont soumis à une concurrence internationale inédite et à une automatisation toujours plus poussée des processus de production. Comment, dans un tel contexte, conserver le même mode de vie et les mêmes buts, d’autant plus si ces buts sont d’ordre économique ? Car l’histoire indique combien la « poursuite du bonheur » est celle d’un bonheur matériel découlant d’une croissance indéfinie. Dès lors que les idéalisations économiques guident excessivement la liberté de penser et de s’exprimer, il est d’autant plus compréhensible que celle-ci puisse mener à des dérives autoritaires qui excluent les réalités gênantes…
Notes
1.↑ https://founders.archives.gov/documents/Washington/99-01-02-10840
2.↑ https://damiengimenez.fr/progres-et-limites-de-la-liberte-de-penser-en-europe-du-xvie-au-xviiie-siecle/
3.↑ https://damiengimenez.fr/wpdgi_instant/voulons-nous-vivre-en-paix/
4.↑ https://damiengimenez.fr/wpdgi_instant/la-centrifugation-politique-revelatrice-dune-impasse-societale/